REJOIGNEZ LE CERCLE !
( Texte de Anne Fouéré - Egypt Today traduit par Isabelle Joguet )
Influencé par le jazz et la musique soufie, le musicien sénégalais Modou Gaye nous fait découvrir des accords totalement inédits : le Soufi Jazz.
Sur scène : un saxophoniste, un bassiste et un batteur. Un quatrième homme est agenouillé devant un long, étrange instrument de bois ressemblant à un grand xylophone. Il attrape une baguette et commence à jouer. Les notes jaillissent puis se mettent à s’écouler tel un ruisseau de légères gouttes de pluie. Une mesure ou deux après, l’ancien caravansérail de Wekalet El-Ghouri résonne d’une cascade de notes cristallines.
« O Dieu, mon complice, je T’appelle Sindidi, Dieu fidèle. Je Te donne mon âme. Je T’abandonne mon corps » chante Modou Gaye, le joueur d’un étrange instrument : le balafon. Ces lignes sont tirées d’un poème Soufi exaltant la magnificence de Dieu.
Un par un, les autres instruments suivent son exemple : tonalités africaines mêlant le timbre chaud du saxophone et l’énergie dominante de la batterie.
Bienvenue au Soufi jazz.
« C’est ici que j’ai rencontré des musiciens avec lesquels j’ai senti que je pouvais faire du bon boulot, des musiciens capables de vivre dans l’esprit de l’instrument et pas seulement capables de produire des notes. Nous nous sommes dit : » pourquoi ne pas former un groupe ? » se remémore-t-il. Son groupe, One World Music, est né en 2001, rassemblant un joueur de jazz de Chicago, un joueur de contre basse suisse, des chanteurs et percussionnistes nubiens, un chanteur soufi égyptien et bien sûr, Modou lui-même.
Lorsqu’on lui demande de définir sa musique, Modou explique : « C’est une musique sans frontière, une combinaison de jazz et de chants soufis, qui par eux-mêmes facilitent l’expression islamique. »
Pas simplement de la musique soufie et pas juste du jazz non plus, la musique de Modou vous fait ouvrir votre esprit aux autres instruments. Si vous ne pouvez accepter les autres, vous n’avez qu’à jouer tout seul.
« La chose la plus étonnante, c’est que tous les musiciens qui écoutent cette musique pour la première fois ont instantanément l’impression de l’avoir déjà entendue. »
La première représentation de One World Music en 2001 fut un tel succès que le Ministère de la Culture a décidé de financer un concert Soufi jazz chaque année durant le Ramadan. « Maintenant encore, tout le monde se souvient de ce concert comme de notre meilleur » dit Modou au sujet du fameux concert qui s ‘était déroulé dans le centre islamique du Caire au Beit El-Harrawi.
DU SENEGAL A LA SUISSE
Les valeurs soufies étant toujours vivantes au Sénégal, Modou raconte que son éducation artistique a commencé dès l’enfance. Appartenant à la confrérie Layenn, famille sénégalaise particulièrement réputée pour son fort esprit religieux, son père et son grand-père étaient sheyouks.
Le grand-père, Sheikh Gibril Gaye, était le mukhaddam, un conseiller du Mahdi, lui même guide spirituel apparu au Sénégal il y a 126 ans.
Le père de Modou, Sheikh Momodou Sakhir Gaye était quant à lui maître dans la confrérie Layenn ainsi que poète. Il fonda l’Ecole Coranique franco-arabe à Dakar (capitale du Sénégal) en 1957. Momodou mourut en 2001 et, depuis, un rassemblement à sa mémoire se tient tous les ans. La mère de Modou descend de la famille Fall dont les membres ont fondé les premières écoles coraniques au Sénégal il y a 300 ans et furent les premiers disciples du Mahdi.
A 8 ans, Modou commença à chanter les poèmes de son père et, 3 ans plus tard, il conduisait la congrégation de prières aïsha. Il parle avec amour et admiration de son père : « On s’aimait tant ! Il s’est toujours conduit avec noblesse et générosité. Il nous traitait, nous ses enfants, comme il traitait tout le monde. Il reste un exemple hors du commun de quelqu’un qui savait donner aux autres. »
Pendant qu’il étudiait la philosophie islamique à l’université de Fès au Maroc, ses professeurs et ses amis conseillèrent à Modou de partir en Egypte pour rencontrer d’autres musiciens. « Au Maroc et aussi en Espagne où je suis allé à plusieurs reprises, j’ai découvert qu’il existait d’autres musiques que la musique soufie. J’ai rencontré des musiciens et j’ai commencé à me poser des questions auxquelles je ne pouvais trouver de réponses dans mon pays. Je savais que je devais trouver ces réponses en Egypte. »
Le jeune artiste arriva en Egypte en 1995 et commença bientôt à participer à des ateliers de musique. Dans la foulée, il se raccorda au célèbre compositeur de jazz DJ Fathy Salama avec qui il se mit à chanter en Wolof, sa langue maternelle sénégalaise.
En 1997, Modou entendit parler du Festival International de musique Ethnique de Gouna, alors il décida de former un groupe et de tenter le coup. Il persuada son percussionniste africain et ses amis danseurs de jouer et danser sur de la musique traditionnelle africaine et, bien sûr, remporta le premier prix.
« Notre musique était diffusée et les choses commençaient à avancer, les gens commençaient à parler de moi et à vouloir m’appeler pour jouer ensemble. »
Un an après, en1998, il fut invité en première partie de Zuwera, le concert réunissant les groupes de musique égyptienne. Le concert avait été préparé depuis 6 mois avec de nouveaux moyens techniques dont des projections vidéo venant compléter les chants. (Depuis, le spectacle a été retransmis plus de dix fois sur les chaînes égyptiennes et a influencé les créations des jeunes musiciens égyptiens.) « Au Caire, les gens ont compris qu’il était possible de créer de la musique nouvelle. Deux ans après, cinq nouveaux groupes de musique du monde ont été créés » précise Modou.
A partir de là, Modou a commencé à toucher aussi au théâtre. Le compositeur et critique musical Dr Tareq Sharara recherchait des musiciens africains pour son adaptation de la pièce « Le lion et le bijou » écrite par Wole Soyinka, Prix Nobel de Littérature en 1986.
« Modou chantait et dirigeait les percussionnistes » relate Sharara. Sa voix était si belle et si pure que je lui offris de participer à l’enregistrement d’un CD de musique de scène que je préparais. »
La Caverne était le thème du CD, basé sur un surat du Coran « Al-Kahf » et sur l’histoire qu’il relate, ainsi que sur la notion de méditation. Modou chantait en Wolof, rejoint par les autres artistes en français, en anglais, en grec et en arménien.
Modou explique que la musique soufie prend ses racines dans les rythmes andalous, alors que les chanteurs sénégalais utilisent un rythme appelé « Baifail ».
Il précise qu’au mélange des deux s’ajoutent les influences de son idole Miles Davis et du chanteur soul Marvin Gaye et le fruit de cet ensemble est son Soufi jazz.
« A la fin des années 1990, la musique de Modou était lancinante, très calme et tournée vers la religion avec quelques notes de jazz. C’était une invitation à la méditation » évoque Sharara. « Maintenant, le Soufi jazz est de plus en plus commercial ».
En dépit de sa popularité grandissante, le Soufi jazz doit maintenant trouver une niche commerciale, en Egypte ou à l’étranger. Les singles de Modou, enregistrés et distribués en Suisse sont actuellement épuisés et le musicien est maintenant à la recherche d’un label en France.
Et sur le marché sénégalais ? Modou n’est pas optimiste : « Les grands noms du show bizz sénégalais ne savent pas que penser de moi, un jeune artiste sénégalais qui joue dans le monde entier, sans manager ni réseau de production ».
Jusqu’à ce qu’un contrat se matérialise, Modou continue à faire le tour des cercles musicaux du Caire, espérant rencontrer des monstres sacrés, comme le légendaire chanteur nubien Mohammed Mounir. Il attend également la seconde partie d’un film documentaire réalisé par Mino Dutertre, Audrey Martinet pour la Société de production Frame to Screen. Le film se concentre sur sa carrière musicale : la première partie a été tournée en Europe et en Egypte, la deuxième devrait être tournée au Sénégal.
En attendant que sa carrière décolle, Modou affine sa pratique du hang, une nouvelle percussion métallique, créée en Suisse par la société PANArt. A l’heure actuelle, on compte seulement 3000 à 4000 joueurs de cet instrument, réservé de fait à un petit cercle d’initiés.